en 2013, François Hollande remet à Josette Audin des copies de documents concernant son mari Maurice Audin1, ainsi qu’une liste d’archives qu’elle sera autorisée à consulter et à copier. Entre autres documents, elle a eu accès à un dossier saisi au domicile du Colonel Yves Godard, alors fugitif de la justice. Godard était l’un des chefs de L’Organisation armée secrète (OEA), une organisation terroriste qui lutte pour garder L’Algérie française.,

en fait, la décision du Président n’avait rien d’extraordinaire; la loi française permet de tamponner des documents « confidentiels”, « secrets” ou « très secrets” afin d’empêcher leur consultation, mais seulement pour une période de 50 ans.

que contient le dossier Godard, ajouté aux Archives nationales en 1961? Entre autres, l’explication officielle de la disparition de Maurice Audin (sa prétendue évasion de prison), des documents forgés par l’armée pour étayer cette thèse, avec ses contradictions., Chaque document est présenté par Godard à sa manière puisqu’il est probable qu’il ait lui-même fabriqué ce dossier pour couvrir ses traces et éventuellement pour être utilisé contre d’autres officiers. C’est ce que l’on peut lire dans les archives de Godard en Californie, exhumées en 2011 par Nathalie Funès, journaliste à l’Obs. Dans un projet de livre inachevé, il attaque Jacques Massu, le général chargé de la bataille d’Alger qui avait refusé de rejoindre l’OEA. Il accuse Gérard Garcet, proche de Massu, d’avoir exécuté Maurice Audin, accusation qui n’apparaît pas dans le dossier conservé aux Archives nationales.,

Garcet, bien sûr, a nié L’affirmation de Godard: comme tous deux étaient impliqués dans la répression des Algériens, ils ont tous deux fait de la pose l’une de leurs « vertus”professionnelles. Leurs déclarations devraient être comparées à d’autres sources.

Il n’y a rien de tel qu’une enquête criminelle et les archives contradictoires concernant Maurice Audin ont d’abord été rassemblées en vue d’une telle enquête, puis sur la base de la plainte déposée par Josette Audin pour homicide volontaire. L’enquête a été menée dans des circonstances complexes., Interrompu en raison de la loi d’amnistie, il a néanmoins produit des témoignages écrits conservés dans les archives provinciales du tribunal concerné, mais pas dans les Archives nationales.

documents privés ou publics?

Les archives sont de différents types et se trouvent dans différents endroits. Ainsi, les journaux de l’époque sont à la Bibliothèque Nationale et les historiens et les journalistes peuvent y accéder immédiatement. Mais l’administration française génère une énorme quantité de paperasse, dont une partie se retrouve dans les Archives. L’Armée n’est pas une exception., Le général Pierre Aussaresses aimait à dire qu’il tenait un cahier multiple avec des pages numérotées chacune en trois exemplaires; jour après jour, il consignait le détail de ses activités, en gardant un exemplaire et en distribuant les autres à différents destinataires, dont Massu. Il serait étonnant que ceux-ci ne soient pas déposés dans des archives. Mais où les trouver? Dans les archives D’Aussaresses ou de Massu?,pas question de savoir ce qu’ils contiennent, car ceux-ci restent privés, ce qui en soi est un scandale: ce sont des documents professionnels, pas privés, et devraient faire partie du patrimoine public, comme le proposait un rapport commandé par le gouvernement Juppé en 1996:

Les Archives produites par les autorités politiques (Président de la République, ministres et secrétaires de Cabinet ou membres des exécutifs locaux) et leurs cabinets dans l’exercice de leurs fonctions publiques, sont de nature publique, tout comme celles de fonctionnaires de l’administration, de l’armée et du corps diplomatique.,

Si Ausseresses disait la vérité, il existe encore deux copies de ces registres. Reste à savoir s’ils étaient estampillés « secret” ou non. Si ces papiers n’ont pas été détruits, ils contiennent des éléments précis concernant les détenus et les décisions prises à leur sujet: le général Aussaresses a affirmé que chaque matin, lui et Massu décidaient du sort de chacun, et que cela était écrit dans son « manifold”.,

Maurice Audin et la « raison d’État”

ainsi, dans le cas de Maurice Audin, la consultation des Archives nationales n’est pas très fructueuse. Dans les archives présidentielles du mandat du Général De Gaulle, il y a une note de quatre pages datée du 4 août 1960, et en fait plusieurs versions successives de cette note, sans doute rédigée à la demande du Général, et traitant de l’affaire Audin sur laquelle il y avait apparemment trop de bruit à son goût.

Il suffit de lire les pages 3 et 4 de ces notes pour comprendre la raison d’état., L’alternative est expliquée très clairement au président: soit punir les hommes coupables du meurtre D’Audin, soit traîner indéfiniment l’enquête pour ne pas transférer la responsabilité du gouvernement sur l’armée :

Il est donc raisonnable de prévoir que si l’orientation actuelle de l’enquête est maintenue, l’affaire Audin prendra une nouvelle dimension compte tenu de l’importance des personnalités politiques et militaires dont les noms seront mis en cause.,

L’opportunité d’une telle éventualité doit être appréciée à la lumière de deux types de considérations.,

1°) en faveur d’un élargissement de l’enquête et d’un renvoi de l’affaire devant un tribunal, les arguments suivants peuvent être invoqués:

➞ l’obligation morale des autorités gouvernementales, qui ne peuvent douter de L’assassinat D’Audin, de découvrir les coupables et de les punir;
the l’émotion intense qui ne peut manquer d’être suscitée dans de nombreux secteurs de l’opinion publique si les circonstances exactes de la mort d’Audin restent inconnues et le crime impuni;
the la crainte (…) que serait attribuée à la pression de la structure du pouvoir.,les autorités vernementales, qui considéraient qu’il était plus facile de recourir à des pratiques extra-légales que d’adapter la légalité aux circonstances;
AUD Audin était membre du Parti communiste algérien et était coupable d’actes qui ne méritaient certes pas la peine de mort mais qui constituaient néanmoins des actes de collusion avec le soulèvement;
the les excès du « Comité Audin”, son exploitation de la disparition du jeune universitaire dans leur campagne contre la politique du gouvernement en Algérie et leurs efforts pour discréditer l’action de l’armée ont rendu les milieux militaires particulièrement sensibles à cette affaire.,

Pas besoin de consulter les archives pour savoir quelle option a été choisie: l’enquête a été « ralenti”.

une promesse présidentielle non tenue

Le 13 septembre 2018, Le Président Emmanuel Macron s’est rendu au domicile de Josette Audin pour déposer entre ses mains une déclaration officielle, publiée sur le site Internet de l’Elysée. Il y est décrit le système dit « arrestation-détention » introduit pendant la guerre en Algérie: arrestation arbitraire, torture, exécution sommaire., Il est reconnu que Maurice Audin a été victime de ce système comme beaucoup d’autres personnes, mais il ne dit pas s’il est mort sous la torture ou a été exécuté par la suite. Il annonce l’ouverture prochaine de toutes les archives traitant de ceux qu’il a portés disparus pendant la guerre d’Algérie. Et il précise même que cela concerne tous les disparus, qu’ils soient civils ou militaires, français ou Algériens. Le travail qui attend les archivistes serait colossal: réserver les archives pertinentes et les mettre à la disposition du grand public.,

un an plus tard, le 20 septembre 2019, à l’occasion d’un atelier tenu à l’Assemblée Nationale sur le thème des « personnes disparues pendant la guerre D’Algérie à la suite d’actions de l’armée française”, Jean-Charles Bedague, du Service interministériel des Archives françaises a annoncé la « prochaine” mise en œuvre des déclarations du Président. Quelques jours plus tôt, un décret avait été publié, mais il ne traitait pas encore de L’affaire Maurice Audin. Ce n’était qu’une question de temps, a-t-il assuré à ses auditeurs, un site web pour la recherche d’archives avait été affiché, il serait bientôt stocké avec des données.,

Mais depuis décembre 2019, il faut reconnaître que l’inverse est vrai. Le Secrétariat général à la Défense et à la sécurité nationale (SGDSN) a muselé les déclarations du Président et serré la vis en réactivant l’article 63 des Instructions générales interministérielles (IGI 1300) adopté en 2011, un texte jamais mis en discussion, mais qui prime sur une loi discutée au Parlement en 2008 et qui stipulait que « les documents des archives publiques sont en principe librement accessibles à quiconque en ferait la demande., »Et ce n’est pas la nouvelle version de L’IG1300, publiée au Journal officiel du 15 novembre, qui va changer la donne.

deux archivistes côte à côte

en conséquence, les archives ont été à nouveau scellées, car l’intimidation est utilisée contre toute tentative de les révéler: ainsi, les divulgateurs et les archivistes sont menacés de diverses sanctions, tous susceptibles d’être accusés de compromettre la sécurité. En 2020, afin de resserrer son étau, le SGDSN a exigé que les documents confidentiels, secrets et « très secrets » soient déclassifiés page par page avant consultation., Une tâche titanesque qui décourage toute tentative d’ouvrir ces archives. Et cela pourrait même concerner des documents déjà consultés ou même publiés. Et c’est ce qui justifie les poursuites judiciaires engagées contre cet IGI-1300 qui est totalement illégal: les tribunes, les pétitions, les recours au Conseil d’état par des associations, par des historiens, des archivistes et par le  » Collectif secret défense, un enjeu démocratique « .

avec les événements du 17 octobre 1961, la guerre D’Algérie fait une incursion brutale sur le sol français., Ce jour-là, à Paris, à l’appel du Front de libération nationale (FLN), des Algériens de la banlieue ouvrière ont défilé pacifiquement dans la capitale pour protester contre la répression qui les visait. La marche s’est transformée en bain de sang sur ordre du préfet de police Maurice Papon, le même homme qui avait exécuté—et même anticipé—les ordres de rafle des Juifs de Bordeaux après l’Invasion de la « zone libre” par les Allemands en 1942.

pendant de nombreuses décennies, les archives de ce massacre ont été enfermées., L’historien Jean-Luc Einaudi, empêché de les consulter sous prétexte qu’il n’était pas universitaire, parvient néanmoins à rassembler suffisamment de données extra-institutionnelles pour publier La Bataille de Paris (Seuil, 1991). En 1999, à la suite de son procès pour son rôle dans la collaboration avec les Allemands et la déportation des Juifs, Maurice Papon porte plainte pour diffamation contre Jean-Luc Einaudi. À ce stade, deux lanceurs d’alerte sont entrés en scène, Brigitte Lainé et Philippe Grand apportant la preuve des meurtres. Elle a été conservatrice en chef des Archives de France., Aux Archives de Paris, elle et son ami Philippe Grand sont chargés des archives judiciaires et étudient celles couvrant la période de septembre à décembre 1961. En février 999, ils témoignent en faveur de Jean-Luc Einaudi et contre le devoir de confidentialité qui lui est demandé: « à partir du mois de septembre, la mise en scène de la mort est permanente; la majorité des noyés retrouvés dans la Seine et les canaux de Paris ont les mains liées dans le dos ou portent des traces de strangulation ou des blessures par balle., »

Le Procès de Maurice Papon contre Jean-Luc Einaudi a été rejeté, mais aucun des archivistes et aucun accès aux archives n’a survécu indemne à cette épreuve. Brigitte Lainé et Philippe Grand sont persécutés par leurs supérieurs, rétrogradés, mis à l’écart, interdits de tout contact avec le public, leurs dossiers confisqués. Ils ont été boudés par un certain nombre de leurs collègues, prompts à les dénoncer en pétitionnant Catherine Trautman, ministre de la culture dans le cabinet de Lionel Jospin (1997-2002).,

en mars 2003, le Tribunal administratif de Paris a reconnu l’existence de sanctions disciplinaires déguisées prises à L’encontre de Brigitte Lainé et Philippe Grand et a rendu nul et non avenu les mémorandums pertinents. Une décision sans effet.

en mars 2004, le même tribunal a ordonné au maire de Paris d’exécuter sa décision. De nouveau, en vain. L’un après l’autre, les deux archivistes se retirent, entourés d’indifférence et d’opprobre pour avoir violé le « secret » des archives de la guerre D’Algérie. Brigitte Lainé est décédée le 2 novembre 2018 sans jamais avoir été réhabilitée.,

Autres points aveugles dans l’histoire récente

La guerre d’Algérie n’est pas le seul angle mort dans les archives françaises. Ceux concernant WW2, en particulier la collaboration avec les Allemands, ont été inaccessibles pendant de nombreuses années, jusqu’à la loi de 2006. L’histoire de cette période honteuse s’est écrite hors de France, aux États-Unis, au Royaume-uni ou en Allemagne. Aujourd’hui, ces lacunes ont été comblées.

Mais ceux associés à la colonisation et à la décolonisation ou à la » Françafrique” et à ses réseaux de corruption post-coloniaux restent ultra-sensibles.,le Collectif secret défense, un enjeu démocratique sont liés d’une manière ou d’une autre aux ex-colonies: le massacre de tirailleurs sénégalais à Thiaroye au Sénégal en 1945; les massacres de Mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherata; L’enlèvement et le meurtre de Mehdi Ben Barka le 19 octobre 1965 à Paris; L’assassinat D’Henri Curiel le 4 mai 1978 à Paris; la disparition du juge Bernard Borrel le 18 octobre 1995 à Djibouti; le rôle de la France dans le génocide les Tutsis au Rwanda au printemps 1994; ou l’assassinat de deux reporters, Ghislaine Dupont et Claude Verlon au Mali, le 2 novembre 2013.,

pour tous ces « dossiers”, historiens, familles, magistrats et archivistes engagés dans une quête de vérité, se heurtent au secret militaire, malgré des délais théoriquement raccourcis, et aux mille et une manières de nier ou d’entraver la communication des documents: archives « expurgées”, dans lesquelles des pans entiers sont recouverts d’une épaisse encre noire pour être illisibles; délais arbitrairement variables pour la consultation; notes de classe incorrectes; dispersion entre les différentes administrations; voire carrément bafouant une demande officielle., En 1981, un membre du cabinet de Gaston Deferre au Ministère de l’Intérieur demande au service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE) de lui montrer le dossier sur Henri Curiel. Lors de son premier rendez-vous, on lui remit un mince dossier de trois pages, chacune ne contenant que quelques lignes. Il se plaignait. À son deuxième rendez-vous, on l’a montré dans une pièce remplie de dossiers non étiquetés et non classifiés, une forêt désespérément impraticable.

pourtant, à l’occasion, dans ce domaine, le système judiciaire donnera raison aux pétitionnaires les plus déterminés., Le 12 juin 2020, Le Conseil d’État a confirmé la demande de François Granier de consulter les archives du Président François Mitterrand de son mandat déposées aux Archives nationales, notamment pour le printemps 1994 lorsque le génocide des Tutsis du Rwanda a été perpétré par les Hutus au pouvoir. L’administration avait systématiquement rejeté les demandes du savant. Mais pour la toute première fois, la Haute Cour de justice administrative a jugé que « la protection des secrets d’État doit être mise en balance avec la nécessité d’informer le public des événements historiques., »Et que, dans le cas présent, la nécessité d’informer était plus importante que le secret. Une décision qui crée un précédent judiciaire et pourrait ouvrir la voie à la France pour suivre l’exemple donné par d’autres démocraties. Comme aux États-Unis, où le délai d’accès aux documents du gouvernement fédéral est de dix ans. Elle peut même être encore réduite si l’on considère que la transparence est plus importante pour la démocratie que le secret. C’est pourquoi, pour comprendre les tenants et aboutissants de la disparition de leur mari et de leur père, la famille de Maurice Audin a dû se rendre aux États-Unis.

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